El sistema : l’unité dans la diversité

Le sourire est incontestablement la voix de l’âme.
Beaucoup disent que les yeux sont quant à eux, une fenêtre ouverte sur les sentiments les plus profonds de l’homme. Lorsque l’on joue, lorsque l’on chante, lorsque l’on s’efforce, on sourit ; on ouvre ses yeux et on nourrit son âme.

Là d’où je viens, les gens se lèvent très tôt. Les files d’attentes pour le bus sont très longues. Là d’où je viens, il n’est pas 7 heures du matin que déjà le chaos s’installe. C’est le métro de Caracas qui court sous les grands immeubles de la capitale vénézuélienne.
Là d’où je viens, tantôt le soleil tape comme du plomb, tantôt la pluie, semblable à un déluge s’en va rafraîchir « El Avila » notre montagne. Cette pluie, ce soleil vous les retrouvez dans toutes les plaines, toutes les villes, toutes les métropoles - même les plus éloignées – de mon pays.

C’est l’aurore de la musique : ce sont les sourires et les danses au cœur d’un orchestre, d’une danse, d’une lutte. Une lutte contre la pauvreté et le crime. Une lutte pour une cohésion sociale forte, une lutte pour avoir le droit de donner un sens à sa vie.


Là d’où je viens, nous sommes des oiseaux multicolores, un drapeau à trois bandes, des arbres jaunes, de la rosée qui se dépose sur une orchidée, des chutes d’eau. Nous sommes le vent de la région Barlovento, une cérémonie pour Saint Pierre dans la ville de Guatire, les tambours de Saint Jean. Nous sommes la tradition, la douceur de l’état de Zulia, le pêcheur de l’Est, l’or noir, et la côte caribéenne.

Nous sommes ce Fraylejon des Andes, ce poirier chétif du désert, ce chant de la ville de Carora, ces célébrations des fleurs dans les grandes plantations. Nous sommes le canoë sur la rivière tumultueuse, les chansons du fermier qui trait sa vache, nous sommes le cacao, le rhum et la canne à sucre.

Nous sommes les villes, les bidonvilles, les récits de voyage. Nous sommes des mères courageuses, les grandes paroisses, les arbres musicaux dont chaque feuille est un orchestre, dont chaque fruit est un cadeau, une espérance. Nous sommes ces graffitis qui entourent la ville, ces parcs envahis de pigeons, cette vieille rue commerçante. Nous sommes des bonbons à la noix de coco, une harpe, un cuatro et des maracas, un Joropo des plaines, un claquement de chaussures contre le sol, les câlins d’une grand-mère.

Nous sommes un modèle de caractère et de persévérance. Nous sommes la confirmation que la musique peut sortir les êtres humains de la misère sociale. Nous sommes à l’origine de la semaison d’orchestres et de chorales à travers tout le Vénézuéla.

Là d’où je viens, on nous appelle le Sistema. Nous sommes ce sourire qui naît de mots comme discipline et souplesse, de mots comme apprendre.
Apprendre au sein d’un système collectif d’éducation musicale fait de nous un modèle de courage et de force, un modèle de combat pour la paix et l’intégration sociale. Notre succès en matière de prévention contre la pornographie infantile, les loisirs dégradants, le crime, la drogue, la pauvreté extrême a fait de nous une source d’inspiration mondiale.

El Sistema au Vénézéla se distingue par la richesse de ses structures, l’ampleur de son défi, sa discipline et l’abondance de son répertoire. El Sistema se distingue par son excellence technique et la qualité de ses interprétations. El Sistema est un modèle pédagogique de très haut niveau.


Depuis presque 40 ans, chacun de nos « nucléos », animé par la conviction commune que le progrès social est possible via la pratique musicale en orchestre, développe des méthodes pédagogiques très variées.
Petites villes, grandes métropoles, villages, barrios très pauvres : à chacun son programme musical et ses spécificités mais à tous cet objectif social de sortir toujours davantage d’enfants de la misère.

Dans chaque nucléo, les méthodes pédagogiques sont sans cesse réinventées : créativité et nouveauté permettent de s’adapter aux besoins changeant des communautés avec lesquelles el Sistema travaille et ainsi mieux honorer, enrichir et faire avancer le programme et les traditions culturelles locales.

L’équipe pédagogique suit un modèle d’apprentissage en spirale c’est-à-dire que les professeurs enseignent aux élèves comment enseigner à leur tour. Dans ce nouveau rôle de professeur, les élèves progressent très vite, ils développent de nombreuses compétences et voient des portes insoupçonnées s’ouvrir devant eux. El Sistema donne à des jeunes, de toutes catégories sociales, la chance d’accéder à la musique, de jouer d’un instrument qui les aidera à dépasser certains problèmes sociaux et enrichir leur caractère moral à travers la quête de l’excellence musicale.


Comment exporter ce programme dans un autre pays ? Faut-il trouver les points communs, les différences ? Un sourire reste un sourire que l’on soit dans l’Arctique, dans l’Antarctique, en Asie ou même sur la Lune. Heureusement, d’ailleurs ! Et l’effet reste le même : le sourire apporte à l’enfant joie et rêves.

J’ai voyagé dans de nombreux pays, vécu de belles expériences. Entre toutes, l’une des plus merveilleuses s’est passée au Groënland. J’étais volontaire dans une maison d’enfants à Uummannaq, une petite ville située dans le nord du pays. Cette maison accueillait des jeunes gens en grande difficulté. J’ai compris, là-bas, qu’il n’y avait pas de meilleur moyen pour enseigner la pratique musicale collective de manière efficace que de comprendre avant tout d’où les élèves viennent, de comprendre leur histoire à chacun. Comprendre leur quotidien aussi, comprendre comment ils ressentent la neige et la ressentir moi-même. Voir si la brise qui souffle sur la luge ressemble au vent qui touche mon visage quand je prends le bus qui me ramène chez moi, au Vénézuéla.

Quand on a de l’intérêt pour une communauté, quand on apprend de cette communauté, on découvre aussi leurs besoins. Et quand on leur enseigne la musique, on plante un arbre – un arbre qu’on doit arroser chaque jour afin qu’il puisse fleurir et donner de grands principes humains.

Nous vivons dans un monde composé de communautés très hétéroclites. Bien souvent on passe beaucoup de temps à identifier les différences entre chacune... Mais pensons juste au mot « bonheur ». Toutes ces communautés comprennent ce mot, et chacune reconnait que l’on peut gagner en bonheur grâce à la musique : quelques notes bien orientées peuvent apporter une grande aide.

Langage, temps, latitudes, saisons, traditions, systèmes politiques, croyances sont autant de facteurs qui caractérisent une nation mais la musique en tant que langage, est universelle et génère universellement des sourires.


Alors, au fond, y’a-t-il vraiment des différences ?

Il y a des différences dans notre manière de faire du pain, de danser, de renchérir et de romancer.

Il y a des différences quand ce que je vois à travers ma fenêtre un jour est le mont Avila et l’autre jour, un iceberg magnifique.
Il y a de très nombreuses différences dans l’enseignement musical et la pratique musicale d’un lieu à l’autre.

Finalement, est différent tout ce qui n’est pas semblable. Evidence, se dira-t-on !
Mais ce qui est différent, ce n’est rien du tout au regard du sens commun de notre combat.

Ce qui est différent est bien souvent une question de point de vue. Aussi, quelque soit l’endroit du monde où l’on se trouve, faire vivre la vision de la musique de maestro José Antonio Abreu, c’est à la fois la même chose qu’au Venezuela et très différent.

C’est la même chose parce que l’on se bat pour changer la vie d’enfants, de jeunes, de familles et de professeurs. L’on montre à tous qu’une vie différente est possible, qu’il est possible d’avoir un sommeil profond, de rêver et de se lever en sachant qu’il y a une cause à défendre.

Quelque soit l’endroit du monde où l’on se trouve, c’est la même chose. En revanche, la manière de transmettre cela à travers la musique, diffère. Les méthodes d’apprentissage dépendent de la communauté, de ses goûts, de ses besoins, et même de ses lois.

Battons-nous donc pour sauver les enfants et utilisons des méthodes pédagogiques différentes s’il le faut, en restant toujours ouvert à ce que peut nous apprendre notre communauté.


Toi qui m’écoutes, permets qu’el Sistema dans ton pays résonne comme ta musique et la musique. Permets-lui de sourire, de montrer ses yeux, ses cheveux, et sa peau de toutes les couleurs, dans les montagnes, les déserts, les vallées, les métropoles.

Toi qui m’écoutes, permets que la musique résonne parmi les sourires ; alors l’enseignement nourrira toujours les enfants d’espoir.
Permets que l’orchestre ou la chorale, quelque soit son pays d’origine, sa langue ou ses traditions utilise toutes les ressources qu’elle a à sa disposition, pour devenir une grande famille.

Je ne terminerai pas sans vous poser cette question : d’après vous, quelle est la première chose que je fais quand je commence mon enseignement dans un autre pays ?

La réponse est simple, je l’ai découverte grâce à mon expérience à el Sistema… je souris et je redeviens élève.

Diaporama

Ron Davis Alvarez

28 ans, Musicien, professeur et chef d’orchestre.
En 2011, il a introduit la méthodologie du Sistema au Groenland, et a crée le premier "nucleo"du seul système national d’orchestre et de choeur de jeunes situé au nord du cercle polaire arctique (à Uummannaq, Groenland - ndt).
Il a reçu une formation de violoniste et d’administrateur culturel au sein du Sistema, et a participé en 2014 à un concert en l’honneur du Secrétaire général de l’ONU, Ban Kin Moon. En 2013, il offre un récital aux enfants du Groenland et à Marguerite II, reine du Danemark.
Sa passion pour l’enseignement des enfants le mène à diriger des cours magistraux et conférences sur le rythme et l’harmonie, aussi bien au Venezuela qu’en Suisse, Danemark , Angleterre , USA, Italie, Colombie, France, Cuba, Equateur et Groenland.
En tant que professeur, il participe au Programme de Jeunes Éducateurs et Directeurs du Sistema. Aujourd’hui, il est chef d’orchestre au sein du Sistema et coordinateur de la Direction des Relations Internationales de la Fondation Simon Bolivar.